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Maison d’édition indépendante fondée en 1992


Enso

Les Cercles d'éveil dans l'Art zen

Audrey Yoshiko Seo

Le terme Ensô signifie « cercle » en japonais et désigne le sujet le plus courant et le plus profond de la peinture d’inspiration zen. Présent dans toutes les cultures, le cercle touche au plus profond de notre être et symbolise la globalité ultime de notre être et de l’univers. Dans la tradition zen, il est une expression de l’éveil, de l’ainsité, du moment, du vide, de la totalité.
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Collection : Le Prunier
Nombre de pages : 194
Format : 170 x 200
Date de parution : novembre 2016
ISBN : 978-2-35432-302-8
22,90€
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Traduit de l'anglais par Laurent Strim
illustrations couleur


On estime que le caractère d’un artiste apparaît pleinement dans la façon dont il dessine un ensô et que seule une personne spirituellement accomplie peut en dessiner un véritable. Les ensô sont accompagnés d’un court poème qui en approfondit le contenu spirituel. Les peintures d’ensô suggèrent ainsi, visuellement et poétiquement, la nature de la réalité.

Audrey Yoshiko Seo a réuni ici une collection des meilleurs exemples de l’art des ensô qui montre la variété de leur forme, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Chaque peinture occupe une page entière avec son commentaire en vis-à-vis qui traduit le poème, en explicite la signification, et présente les aspects stylistiques et le contexte spirituel de l’œuvre.

L’ouvrage contient une introduction passionnante sur la tradition des cercles d’éveil dans le bouddhisme depuis l’Inde, la Chine et jusqu’au Japon, ainsi que la biographie des artistes, qui sont pour la plupart d’importants maître zen japonais.
Cet ouvrage de grande qualité et accessible est le premier en français sur cette importante tradition artistique et spirituelle. Il ravira tous ceux qui s’intéressent à la peinture, à l’art asiatique, au Japon, au zen et au bouddhisme. C’est un excellent livre-cadeau.
Avant-propos
Remerciements
Introduction

1. Moi seul suis l’Honoré  –  Torei Enji
2. Moi seul suis l’Honoré  – Torei Enji
3. La lune d’automne  –  Gasan Jito
4. Lune d’automne  –  Inzan Ien
5. Katsu  –  Mokurai Soen
6. Pas d’espace dans les dix directions  –  Hakuin Ekaku
7. La paix  –  Takuju Kosen
8. Shakyamuni et Maitreya  –  Bankei Yotaku
9. Non-né  –  Yamada Mumon
10. Pas une seule chose  –  Ryonen Genso
11. Bambou  –  Deiryu Kutsu (Kanshu Sojun)
12. Gâteau de riz  –  Ryochu Nyoryu
13. Toilettes  –  So Saibai
14. Qu’est-ce que ceci ?  –  Fukushima Keido
15. Qu’est-ce que ceci ?  –  Daido Bunka
16. Chien  –  Kasumi Bunsho
17. Monsieur Lune  –  Nantenbo (Toju Zenchu)
18. La véritable vacuité  –  Ungo Kiyo
19. Planche  –  Kusetsu Soryu
20. Vent et bambous  –  Shibayama Zenkei
21. Barrières  –  Daikyu Ebo
22. Barrières  –  Jiun Sonja
23. Cultiver ses facultés  –  Chuho Sou
24. Pin  –  Deiryu Kutsu (Kanshu Sojun)
25. Plat à gâteaux  –  Setsudo Nyoun
26. Chaque son, chaque forme  –  Keiju Dorin
27. Gâteau  –  Shunso Joshu
28. Mangez ceci  –  Fukushima Keido
29. Moi seul suis l’Honoré  –  Torei Enji
30. Moi seul suis l’Honoré  –  Torei Enji
31. L’enso- dans l’enso-  –  Nantenbo (Toju Zenchu)
32. Qu’est-ce que ceci ?  –  Shunso Joshu
33. Abiraunken  –  Jiun Sonja
34. Le dressage du bœuf  –  Mamiya Eishu
35. Rien ne manque  –  Yamada Mumon
36. Rien ne manque  –  Taikan Monju
37. Entrer dans la foi  –  Hata Egyoku
38. Entrez à partir d’ici  –  Hoshino Taigen (Saishokan)
39. Planche  –  Chuho Sou
40. Attrapez-la !  –  Nantenbo (Toju Zenchu)
41. Lune d’automne  –  Inzan Ien
42. Gâteau de riz  –  Morita Goyu
43. Mochi  –  Nantenbo (Toju Zenchu)
44. Mochi  –  Yamamoto Gempo
45. Les paroles sophistiquées  –  Godo Soken
46. Rien d’autre  –  Torei Enji
47. Cercle souriant  –  Ishikawa Bokugyu
48. Rêve  –  Deiryu Kutsu (Kanshu Sojun)
49. Pureté sans fin  –  Dairyu Sojo
50. Grande paix  –  Nakagawa Soen
51. Qu’est-ce que ceci ?  –  Kaizan Sokaku
52. Qu’est-ce que ceci ?  –  Torei Enji
53. Souris  –  Okada Kido
54. L’univers s’attarde  –  Ranzan Shoryu
55. Mu  –  Kojima Kendo
56. Triangle  –  Fukushima Keido

Epilogue
Liste des noms
Liste de textes importants
Biographies des artistes
Notes
Bibliographie choisie
Avant-propos de John Daido LOORI

En tant que symbole, le cercle exprime la totalité de notre être. Que ce soit dans les cérémonies d’adoration du soleil, dans les récits mythologiques ou dans l’art religieux, le cercle désigne l’aspect le plus essentiel de notre existence – sa globalité ultime. A travers les âges et dans des cultures largement différentes, des communautés de l’âge de pierre aux sociétés technologiquement avancées, le cercle a toujours évoqué des sentiments de calme et de complétude. Dans ses commentaires sur l’inconscient collectif, Carl Gustav Jung se réfère au cercle comme à l’« archétype de la totalité ».
Notre relation au cercle est à plus d’un titre évidente. Nous sommes placés au centre d’un horizon circulaire. Nous vivons sur une sphère qui, de pair avec d’autres sphères, décrit un cercle autour du soleil, sous le vaste dôme céleste. Nous sommes épris de la lune. Dans les arts, nous mettons en lumière la figure abstraite du cercle à travers de nombreuses formes naturelles – l’anneau, la sphère, la roue. Nous créons des halos qui flottent au-dessus de la tête des saints, et accomplissons des danses rituelles circulaires.
Dans le bouddhisme, il existe de nombreux exemples d’utilisation du cercle. On parle au sujet des enseignements du Bouddha, le fondateur du bouddhisme, de « faire tourner la Roue du Dharma », la roue de la réalité. Dans le zen, la compréhension de cette métaphore va encore un peu plus loin : on dit que, lorsque la Roue du Dharma tourne, elle tourne dans les deux sens. Dans le bouddhisme tibétain existe la pratique complexe consistant à créer des mandalas, des représentations circulaires de l’univers et de tous ses aspects, qui servent également de moyen pour concentrer son esprit. Et il y a l’ensō du zen.
L’ensō est peut-être le sujet le plus courant de la calligraphie zen. Il symbolise l’éveil, l’énergie et l’univers lui-même. C’est une expression directe de l’ainsité ou de ce-moment-tel-qu’il-est. Ensō est considéré comme l’un des sujets les plus profonds de zenga (la peinture d’inspiration zen), et l’on estime que le caractère de l’artiste apparaît pleinement dans la façon dont il ou elle dessine un ensō. Seule une personne mentalement et spirituellement accomplie peut en dessiner un véritable. Certains artistes dessinent quotidiennement un ensō à titre d’exercice spirituel.

Bien que la forme de l’ensō soit très simple, son essence est difficile à saisir ou à définir. D’un côté, c’est juste un cercle peint d’un unique trait de pinceau, sur une seule expiration. De l’autre, c’est la représentation de la totalité du grand vide. Certains avancent que l’ensō n’a pas de signification fixe. D’autres insistent sur le fait qu’il inclut et traduit une action continue et sans fin à travers les temps. Quand on regarde une peinture d’ensō, celle-ci communique et peut être appréciée à plusieurs niveaux, en fonction de la maturité spirituelle de celui qui regarde.
L’ensō peut présenter des formes très diverses, de parfaitement symétrique à complètement irrégulière, avec un trait de pinceau fin et délicat, ou bien au contraire large et massif. Nombre de peintures d’ensō comprennent un court texte en prose ou en vers appelé san. Les san sont composés soit par l’artiste lui-même, soit par quelqu’un qui commente l’image de manière à approfondir et clarifier le contenu religieux et spirituel de l’œuvre. Les peintures d’ensō agissent comme des kôans visuels et poétiques – des déclarations, questions ou démonstrations apparemment paradoxales, qui indiquent ou suggèrent la nature de la réalité. Elles reflètent la compréhension de l’artiste selon laquelle, à leur meilleur niveau, les mots et les images échouent à exprimer complètement la vérité. Dans leur effort pour aider les autres à comprendre la vraie nature de la réalité, plutôt que d’expliquer, les maîtres indiquent, et indiquent aussi directement qu’ils le peuvent.
L’importance et l’efficacité d’une telle méthode, dans la pratique et la formation religieuses, ont fait l’objet d’une insistance et d’une élaboration toutes particulières dans le bouddhisme zen. Bodhidharma, le fondateur du zen, a défini ainsi cette tradition :

Une transmission spéciale en dehors des écritures,
Ne reposant ni sur les mots ni sur les lettres,
Une indication pointant directement l’esprit humain,
Et la réalisation de l’éveil.


Dans le zen, indiquer directement prend de nombreuses formes. Parmi celles-ci, l’une des plus importantes, et la plus pertinente par rapport au sujet du présent livre, est la façon dont les arts éclairent le sens des kôans traditionnels, qui forment l’épine dorsale d’une grande partie des enseignements zen. Pendant des siècles, l’ensō a fourni aux pratiquants monastiques et laïcs du zen un guide pour débrouiller l’écheveau des questions mises en avant par les anciens maîtres. Parfois, l’ensō lui-même apparaît dans le kōan en forme d’histoire.

Maître Xuansha vit son disciple Gushan approcher et traça un cercle sur
le sol.
En voyant cela, Gushan dit : « Les gens ne peuvent sortir de ce lieu. »
Xuansha dit : « Je crois que vous faites les choses avec la matrice d’une ânesse et la panse d’un cheval. »
Gushan dit : « Et vous-même, Maître ? »
Xuansha dit « Les gens ne peuvent sortir de ce lieu. »
Gushan dit : « Vous avez dit ainsi, et j’ai dit ainsi. Alors, quelle est mon erreur ? »
Xuansha dit : « Je l’ai, mais vous ne l’avez pas. » Qu’est-ce que cette chose qu’il possède, et comment savait-il que Gushan ne l’avait pas ?


Le mariage ancien de l’art et de la religion dans le zen remonte à la naissance de cette tradition en Chine. Quand le bouddhisme commença à entrer dans ce pays, depuis l’Inde, au cours du Ier siècle de notre ère, il rencontra le taoïsme indigène, avec son goût profond pour la nature et les arts. L’accent mis par le taoïsme sur la simplicité se mélangea à la métaphysique complexe du bouddhisme indien, dont il tempéra les tendances philosophiques. Le résultat fut un style de bouddhisme très direct et pragmatique – le zen. A ses débuts, celui-ci fut influencé par les pratiques raffinées de la poésie, de la peinture et de la calligraphie chinoise. Le Tao de la peinture, rédigé aux alentours de l’an 500 ap. J.-C., est un classique de l’art de peindre comme chemin spirituel. L’action de la non-action y est mise en avant en tant qu’aspect cardinal du processus créatif authentique. L’esprit est réduit au silence, le moi s’écarte du passage, et l’ouvrage peut ainsi accéder à son auto- expression.
A la différence de l’approche moderne de l’enseignement artistique dans les écoles, la méthode taoïste traditionnelle conduit les artistes à suivre des périodes rigoureuses d’apprentissage sous la direction de maîtres réputés, passant des années à étudier comment découvrir et exprimer l’énergie, ou chi (en japonais ki), d’une montagne, d’un bambou ou d’une fleur de prunier. Le zen s’inspira librement de ces enseignements, pour finalement développer un style très particulier de peinture, de calligraphie et de poésie.
Sous la dynastie chinoise des Song (960-1279), la peinture et la poésie zen atteignirent leur plus haut degré de développement avec l’émergence d’un phénomène nouveau : l’apparition d’une classe de moines-peintres et de moines-poètes qui n’étaient pas simplement des artistes accomplis, mais aussi des religieux, voire des maîtres de la tradition zen. A la même époque, les monastères zen devinrent des pôles d’attraction pour des artistes séculiers qui cherchaient à clarifier la relation entre leurs aspirations spirituelles profondes et leur créativité.
Quand le zen chinois commença à s’implanter au Japon au XIIIe siècle, les arts suivirent et furent rapidement intégrés à la culture zen. Au cours de l’époque de Kamakura (1185-1333), ces arts se développèrent sous différentes formes : le chadō (cérémonie du thé), l’art de la flûte de bambou, l’art des jardins, le (théâtre), la céramique et, le plus important, le shodō (peinture et poésie). signifie « voie » et ces arts sont désignés comme des « voies » car ce sont des disciplines complètes par lesquelles l’artiste polit sa compréhension de lui ou d’elle-même et de la nature de la réalité. L’ensemble de ces disciplines reçut la dénomination d’« arts sans art du zen ». Elles transcendent la technique et servaient à l’origine à communiquer la vérité zen.
Les arts zen se distinguent d’autres types d’art bouddhique en ce qu’ils ne sont pas iconographiques. Leur but n’est pas d’approfondir l’expérience religieuse des fidèles. Ils ne sont utilisés ni dans des cérémonies de vénération, ni pour la prière. Ils ne sont pas même destinés à créer un sentiment d’ouverture, de conscience ou de réceptivité aux enseignements spirituels. L’art zen, en tant qu’art sacré, est une expression directe de l’ineffable. Il nous aide à transformer la manière dont nous nous comprenons nous-mêmes et dont nous comprenons l’univers. Il rend visible l’invisible.
Dans les arts zen traditionnels, la peinture et la calligraphie fonctionnaient comme des discours visuels, tandis que la poésie avec ses mots vivants communiquait la nature essentiellement sans-mots du zen. D.T. Suzuki, au sujet de ces formes uniques, a dit : « Les arts du zen ne sont pas conçus pour des fins utilitaires, ni pour un plaisir purement esthétique, mais visent à exercer l’esprit, en fait, à le faire entrer en contact avec la réalité ultime. »
Dans Ensō : les Cercles d’éveil dans l’Art zen, Audrey Yoshiko Seo a réuni certains des ensō les plus pertinents et les plus admirés de l’histoire du zen, auxquels elle a joint des informations biographiques au sujet des artistes, des commentaires artistiques sur les œuvres et, dans bien des cas, un aperçu du contexte spirituel, qui permet au lecteur de se faire une idée des enseignements incarnés dans une œuvre d’art spécifique. Ce recueil est un nouveau pas important dans la transmission du Dharma de l’Est à l’Ouest, particulièrement en ce qu’il clarifie le rôle charnière que les arts ont joué dans le bouddhisme zen et qu’ils peuvent continuer à jouer alors que le bouddhisme se répand en Occident.
Le bouddhisme zen s’accompagne d’un riche patrimoine culturel, littéraire et artistique que nous avons encore à découvrir. Maintenant que les racines de la formation et de la pratique bouddhiques ont été implantées sous nos climats, le temps est venu de prendre la mesure d’autres aspects de notre héritage dharmique. Le livre d’Audrey Yoshiko Seo contribue largement à ce processus qui devrait nourrir l’évolution du Dharma du Bouddha à l’Ouest, aussi bien que nous aider à approfondir notre compréhension des arts sans art du zen.
Quoi qu’il en soit, et en dernier lieu, nous devrions prendre conscience que l’ensō n’a ni raison d’exister ni but en dehors de lui-même. Son existence est parfaite et complète, esthétiquement gratifiante en elle-même. L’ensō est son propre mérite et sa propre récompense. Il n’a pas d’autre cause et ne produit pas d’autre effet que lui-même. Le fruit de l’ensō est l’ensō.
Rencontrant deux moines qui mettaient sa compréhension au défi, le maître zen Yangshan dessina un cercle dans l’air, le leur montra, puis le jeta derrière lui, par-dessus ses épaules. Ensuite, il étendit les bras et leur demanda de lui rendre le cercle. Les deux moines étaient abasourdis et ne savaient quoi faire. Yangshan leur donna le conseil suivant : « La Voie n’est pas facile ; vous devriez étudier le Dharma du Bouddha avec application. » Sur ces mots, il les salua et s’éloigna.

John Daido Loori
Tremper Mountain
Eté 2006